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Argumentaire

Argumentaire 

Depuis l’émergence des premières formes d’organisation structurée, les sciences humaines et sociales ont tenté de donner un sens aux mécanismes d’ordre, de contrôle, de hiérarchie et de rationalité qui gouvernent les dynamiques collectives. Au cœur de ces préoccupations, les théories de l’organisation, du management, de l’économie ou encore de la sociologie ont longtemps été centrées sur l’idée que la performance, la stabilité et l’efficience dépendaient d’un équilibre maîtrisé entre structure et action.

Pourtant, les évolutions récentes des sociétés et des technologies ont remis en question ce paradigme de la maîtrise rationnelle. L’irruption du numérique, la montée en puissance de l’intelligence artificielle, les crises successives, les bouleversements géopolitiques et les transitions énergétiques ont transformé la nature même des environnements organisationnels, désormais marqués par l’instabilité, l’imprévisibilité, voire le chaos. Dans ce contexte qu’on peut qualifier de VUCA[1], les organisations sont appelées à repenser leurs stratégies de gestion face à la volatilité, l'incertitude, la complexité et l'ambiguïté de son environnement.

L’histoire de la pensée organisationnelle révèle d’ailleurs que les organisations n’ont jamais été totalement rationnelles ou ordonnées. Traversées par des jeux de pouvoir, des routines informelles, des résistances et des contradictions, elles font du désordre une caractéristique constitutive de leur fonctionnement. Certaines structures, notamment dans les environnements incertains comme les startups ou les ONG, apprennent à "danser avec le chaos" plutôt qu’à tenter de le dompter. Les théories de la complexité, des systèmes ou de l’innovation permettent de mieux appréhender ces dynamiques, en valorisant une posture d’écoute, d’adaptation et de co-évolution.

Enfin, penser la complexité et le désordre suppose de renouveler les méthodes de recherche.  Les approches linéaires et prédictives cèdent la place à des méthodologies interactives (Dortier, 2012), exploratoires, qui s’attachent moins à simplifier le réel qu’à en épouser les contours mouvants : Ethnographie, simulations, design spéculatif, analyses systémiques. Il s’agit de mieux comprendre la réalité pour y intervenir avec discernement, dans une posture réflexive et éthique.

Cette 6ème édition du Colloque International Gouvernance, Entrepreneuriat et Performance se veut un espace de croisement des disciplines, d’échange critique et de controverse féconde autour des nouveaux prismes à travers lesquels ordre, désordre et complexité s’interpénètrent, interagissent et donnent naissance à des formes organisationnelles inédites. Elle rassemblera chercheurs, professionnels, praticiens et doctorants pour interroger ensemble les formes organisationnelles émergentes, les innovations inattendues et les modes de gouvernance adaptés à l’incertitude.



[1] Le concept de VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) ou VICA (Volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté) a été initialement développé par l'armée américaine après la fin de la guerre froide (les années 90) pour décrire l'environnement dans lequel opéraient les forces armées

Axes de recherche

1-Management hybride et innovation : Entre ordre établi et souplesse nécessaire

Dans un monde où l’incertitude devient la norme, les organisations s’éloignent des modèles rigides pour explorer des formes plus flexibles : entreprises agiles, plateformes collaboratives ou encore structures dites "liquides". Ce mouvement pose une question centrale : comment articuler autonomie et pilotage, liberté d’action et dispositifs de contrôle, dans des environnements parfois flous, instables, voire chaotiques ?

2-Chocs économiques et recomposition des organisations

Les secousses économiques, qu’elles soient locales ou systémiques, viennent bouleverser les équilibres établis. Comment les organisations – petites, grandes ou émergentes – réagissent-elles face à ces désordres ? Quels ajustements de fond opèrent-elles sur leurs modèles d’affaires ? Ces contextes de crise forcent souvent des transformations profondes, inattendues, parfois créatives.

3- Technologies numériques, usages détournés et complexité croissante

Les technologies – IA, plateformes, systèmes d’information – ne se contentent pas de structurer : elles génèrent aussi du flou, du foisonnement, de l’ambiguïté. Les usages réels échappent parfois aux intentions initiales, donnant lieu à des pratiques informelles, à du "shadow IT", voire à de l’innovation par contournement. Peut-on parler d’un chaos créatif ? Et comment les organisations le gèrent-elles ?

4- Énergies renouvelables et reconfiguration des structures

La transition énergétique ne se limite pas à des questions techniques. L’intermittence des renouvelables, leur ancrage territorial et leurs impacts sur les chaînes de valeur obligent à repenser les modèles organisationnels. Quelles formes de gouvernance pour faire face à cette instabilité énergétique ? Et comment les acteurs, publics comme privés, s’ajustent-ils à ce nouvel ordre mouvant ?

5- Individus et quête de sens dans des environnements déstabilisés

Quand les repères vacillent, les individus aussi peuvent vaciller. La désorganisation, qu’elle soit subie ou structurelle, a des effets directs sur les identités professionnelles, la motivation ou encore la santé psychologique au travail. Comment maintenir un cap collectif quand les trajectoires individuelles sont bousculées ? Que nous disent la psychologie du travail, la sociologie ou l’anthropologie sur ces dynamiques du sens ?

6-Cultures d’entreprise, marges et innovation informelle

Dans les interstices des organisations formelles, il existe des espaces de liberté, des rituels non prescrits, des pratiques bricolées. Ces zones grises, souvent peu visibles, sont aussi des lieux de création. Que se passe-t-il quand les routines sont détournées, quand les rites évoluent ? Peut-on y lire une autre forme d’innovation, moins encadrée mais tout aussi féconde ?

7-Écosystèmes d’innovation : Gouverner dans l’incertain

Les structures d’innovation actuelles – incubateurs, clusters, tiers-lieux – rassemblent une diversité d’acteurs et fonctionnent selon des logiques souvent mouvantes. Comment assurer une coordination sans centralisation ? Quelles formes de gouvernance émergent dans ces environnements hybrides où la coopétition, les partenariats évolutifs et la transversalité sont devenus la norme ?

8- Automatisation, algorithmes et recomposition du pouvoir

À mesure que les algorithmes s’imposent dans les processus décisionnels, le rôle de l’humain se redéfinit. Qui décide, au fond ? Et comment ? Entre désintermédiation, surveillance accrue et risques de biais, les organisations doivent repenser la place de chacun dans ce nouvel ordre numérique – ou désordre, selon le point de vue.

9-  Territoires en tension, énergie et innovation sociale

Les projets énergétiques ou technologiques innovants rencontrent parfois de fortes résistances sur le terrain. Ces conflits, loin d’être anecdotiques, révèlent des fractures mais aussi des capacités d’invention collective. Dans certains cas, c’est précisément le désordre social ou politique qui enclenche des dynamiques d’innovation sociale.

10-Méthodologies pour penser la complexité

Comment étudier des réalités qui ne suivent pas des logiques linéaires, prévisibles ou stables ? Les approches qualitatives, ethnographiques, systémiques ou par simulation permettent d’appréhender les dynamiques d’émergence, de bifurcation, d’incertitude. Penser l’organisation aujourd’hui, c’est aussi accepter d’y voir du trouble, du flou… et parfois, de l’inattendu.

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